sabÿn
. Zero (Tabula Rasa)
2 séries de photographies numériques, dimensions variables, 2016
Tabula Rasa ou la Brisure des Vases….
les Vases, là, emplis du Vide, dans le vide un éclat (Brisure des Vases éclair de ruines), les ruines seront ton souffle, seront l’En-Bas, les terres de l’En-Bas et le petit peuple fracassé, et le fracas des voix, inaudibles…
En ces terres arides, désertées d’un imaginaire familier, la palpitation mémorielle de Capri Battery de Joseph Beuys distille sa lumière ténue quoique solaire – l’acidité du citron impulsant un faible courant électrique. D’autres images adviennent alors, entremêlant leurs strates résiduelles : l’ampoule de Guernica (Picasso) nichée en son œil au sommet d’une pyramide, l’œil omniscient du Dieu trinitaire, rayonnant et enclos en un triangle et cette scène du film d’Orson Welles (Le Procès, d’après Kafka), où une ampoule oscille inexorablement, sa lumière inquisitrice vrillant l’espace anamorphique et ses êtres confinés, piégés en une pièce minuscule. Ces images en leur pouvoir d’invocation aimantent une fiction tâtonnante...
J’entrevois l’ampoule comme vecteur symbolique d’une Immanence menacée, sans doute absentée, reliquat de projections intimes. L’Immanence se conjoint à un imaginaire en perte de repère(s), désarrimé (dilution des récits édifiants en ce qu’ils figuraient de possible refuge).
Le medium photographique, imprégné de visions spirites, est ici captation d’instances instables aux aléas des substances. Le bruit numérique, résultant de voiles écraniques ou fragmentations agrandies, exacerbe l’indétermination des figures (flottement spectral de l’entre-deux). L’énergie convoitée n’est plus électrique, mais se diffuse selon diverses stases : liquides, huileuses, solides, gazeuses, poudreuses...
Les séries n’ont de sens qu’au creuset des rythmiques qu’elles impulsent : musicalité du vide en la brisure des vases, mais sans doute est-ce la vie en ses flux, possible réassourcement en d’autres stases, incertaines.
Consentir à Tabula Rasa, ce n’est pas tant nier ce qui fut, qu’accepter la perte fracassante, mais aussi le fracas du ressac au défilement infini de ses vagues. Ne serait-ce alors, selon une voie apophatique, puiser en l’énergie des brisures le réenchantement ténu du « creux néant musicien » (Stéphane Mallarmé) ?
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Chevirat Kelim – la Brisure des Vases, désigne selon Isaac Louria, cette seconde phase de la Création du Monde succédant au Retrait du principe Divin – Tsimtsoum. Ce retrait crée un Vide en lequel subsiste un résidu de lumière, qui jaillit alors – selon un principe de séparation –, des yeux de l’homme primordial : Adam Qadmon. En résulte la brisure des Vases de la Connaissance, ce qui « introduit dans la création un déplacement. […] Tout est désarticulé. Tout est désormais imparfait et déficient, en un sens "cassé" ou "tombé ". Toutes les choses sont "ailleurs", écartées de leur place propre, en exil » (Marc-Alain Ouaknin, Tsimtsoum, Introduction à la méditation hébraïque, Paris, Albin-Michel, coll. « Spiritualités Vivantes », 1992, p. 33.) Cet événement fondateur, (dont le pendant exotérique est l’expulsion du Paradis), légitime cet état d’errance inhérent à l’humain, exilé en un monde défaillant, altéré, dépourvu d’unité.