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Equinoxe d'automne (la clepsydre) - photographie numérique

Les Leurres 

Présentation de la globalité du cycle

 

dans l’arrière chambre nos doigts griffent l’écaille du mur,  nous gravons le rébus,

une amulette sombre  pour contraindre l’espace, sinuer dans les failles

 

l’ombre vacille

des poissons nagent à travers           ils fendent  l’écaille du mur

 

nous  ad . venons

* * *

ils avaient construit les leurres, patiemment, entre les mondes,

faisant l’appât

 

                extrait de mon recueil de poésie  Des mondes, l’autre

troisième partie Les leurres

 

 

 


  Il est convenu d’envisager le leurre comme appât, tromperie, artifice ou apparence fallacieuse. De fait, rien de très aimable...

   Ce dernier en fauconnerie désigne un  artefact – morceau de cuir en forme d’oiseau destiné à faire revenir le rapace sur le poing du fauconnier, concrétisant dès lors une alliance entre le dresseur et l’animal, affaité. L’homme touche au sauvage, selon des modalités ambigües puisque partiellement dénaturées.  Deux mondes s’interpellent et s’entremêlent ; le leurre fait ici reliance – il est ce qui ouvre à l’irréductiblement autre, une négociation.

   Je pense alors aux bandelettes de gaze blanche lestées d’un écrou que lance le Stalker, inoubliable passeur du film éponyme d’Andreï Tarkovski ; il me plait d’appréhender ces dernières telles des leurres fictionnels et rituels  censés protéger la progression furtive (to stalk) des personnages dans la Zone.

La Zone est cet étrange topos, organique, autonome, que perfusent d’invisibles forces mortelles et capricieuses avec lesquelles négocier. Ces bandelettes lestées, quand bien même humbles et dérisoires, lorsque lancées sont alors des clés entrouvrant des portes ou seuils indécelables ; elles conjurent le danger et révèlent une outre-voie, sentes instables menant au mystère sacral de la Chambre promise (Komnata).

   Mais aussi leurres comme stratégie protectrice et défensive ; les céphalopodes pour se soustraire à la prédation, font chair avec leur environnement : camouflages homochromiques et plasticité de leurs corps aux formes mutantes.  "Il y a tout un monde dans chaque leurre. Par ces leurres, le poulpe exhibe, manifeste sa pleine puissance du vivant." (1)

   En dépit de connotations négatives, les leurres me semblent accueillants. En eux se déploient des espaces intermédiaires et poreux, entre-deux propices aux déplacements : altérité, altération, troubles et paradoxes, contaminations instables à l'aune de perceptions mouvantes  là où se dissolvent les certitudes.

   Le leurre  ne peut-il dès lors dire la fiction - en ce que cette dernière voile et révèle tout à la fois ?

Par la fiction, je négocie avec le substrat invisible de ce qui fait mondereliance ambiguë puisque indissociable de la positivité matérielle (fictio/fingere) de ce que je récolte et façonne dans la patience du geste ; c’est toucher à ce qui s’absente et nous pré-existe à la fois (animation sensible du vivant).

C’est aussi mon Afrique-fantôme  - sorcellerie ombreuse et tutélaire, en laquelle, par laquelle, renouer avec l’avant, jouant de résurgences archaïques et animistes.

Tout mon travail relève du leurre ainsi appréhendé, mais ce cycle précisément, réfère à mon recueil de poésie Des mondes, l’autre, et tout particulièrement sa troisième partie : Les leurres.

NOTE

(1) : Vinciane Despret, Autobiographie d'un poulpe et autres récits d'anticipation, Arles, Actes Sud, Mondes sauvages, 2021, p. 75

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