sabÿn
Bouche de sel - détail de l'installation Les vagues, le soupir (ressâq)
Le blanc du Dieu
dans tout ce blanc, le blanc qui noie comme s’il était neige, mais y a pas de neige, y a pas d’eau pas de promesses liquides cela qui désigne, et cela qui rive la roche au blanc, la bouche au blanc, le mot au blanc – silence mais fracas de souffles chaotiques, fracas du silence comme angoisse là, très nue, très calme, angoisse qui te lamproie à bouche molle et te noie du dedans et noie les ruines dans la ruine du souffle, mais c’est pas encore le rien, pas plus que vide comme dilution, ce qui se dilue, dilue oripeaux et lacets, (les chimères), mais pas ce chaos de nerfs vrillés aux stridences silencieuses - larmes pas coulées mais creusées en dessous des os, comme s’il fallait s’inventer, inventer la larme pour naître dans un flocon, ou bien le Soi du moi, mais pas toi ni moi, pas eux, pas ils/eux, ni les herbes, ni les femmes, dans tout ce blanc on oublie le noir & ce que noirs écharpent et couvrent et recouvrent, obscurcissent, pour obscurcir le noyau (ou moignon) du silence, faire silences de cendre à défaut d’ouvrir caresses à cette façon, (s’il est façon d’être ici-bas, dans tout ce blanc étourdissant, c ette nappe aveugle aux yeux qui clignent sans larmes), à cette façon qui rêve l’obscur ou le renoncement, pas de cette marche harassée dans le monde de l’En-Bas & l’En-Haut qui fracasse plus encore que le Mont mauve & chauve et nu et impossible, ce blanc, c’est (ce serait) l’abîme du Dieu qu’ils n’ont pas encore inventé.
extrait de mon recueil de poésie Le ressac / sa.ï.gâ.n (2014)
Le blanc du Dieu / Présentation de la globalité du cycle
Le sang des Limbes condense l’achèvement d’un cycle créatif ; de fait, poursuivre une pratique artistique que hante pour l’essentiel, quand bien même sublimée, l’histoire intime en ses fêlures et symptômes ne fait plus sens. Un vide inouï s’ensuit.
Le blanc du Dieu, porte en filigrane le désenchantement comme les déshérences de l’après sang des Limbes ; il tisse des résonances profondes avec mon recueil poétique Le ressac / sa.ï.gâ.n - recueil de la dépression. La climatologie dépressive est blanche, les larmes sèches ; c’est vivre déliée du vivant, comme d’un ressenti étayant et nourricier : retrait du monde et silence de blancheur oppressante, fossile, jusqu’à l’usure, l’abrasion.
Sans doute a-t-il fallu du temps pour initier ce nouveau cycle ; de fait, Le blanc du Dieu actualise mon obsession du ressac.
J’écrivais en 2013 : « La fiction à mes yeux, est ce voile apposé à la surface des choses et permettant de toucher à l’absence originaire – ce qui ne peut advenir... C’est là une autre ritournelle, qu’il me plaît d’appeler ressac (…) – cette fois-ci élargi aux marées de l’aître du monde. Il contribuerait, ainsi que le feraient les vagues, à diluer les récits déchirants, substituant d’autres récits comme ‘’point de fuite de l’origine ‘’ (1). Récits qu’animeraient alors cette absence originaire et ses figures de re-trait, dans l’espoir d’y consentir enfin, sans prétendre rien remplir tant cela semble illusoire – ne serions-nous poussières d’étoiles ?
C’est connu, une vague efface la trace de celle qui l’a précédée, ad infinitum. »
Rien ne se fige, d’autres récits peuvent advenir, cette fois ci plus impersonnels, quand bien même ravivant ce avec quoi je me suis aussi construite : la terre, le ciel, l’océan - présence et prégnance des mondes du vivant à l’aune d’une sensibilité animiste (dont la crise écologique actuelle exacerbe le ressenti).
Le recours à la mythobiographie (2) demeure un ancrage puissant : dissolution de ses petites histoires dans un substrat plus universel, mythique ou onirique, porosité des interstices inhérente au tissu fictionnel en ce qu’il trouble, voile, déplace en flux constants.
Notes :
(1) : Pierre Fédida, Le Site de l’étranger, la situation psychanalytique, Paris, Quadrige/PUF, 2009, p. 15
(2) : " L’autobiographie doit se développer sur le territoire des mythes, des rêves, des fantasmes. Elle réalise, en ce sens, un projet anthropologique. Le narrateur cesse de raconter sa vie. Il s’efforce seulement de la déchiffrer dans les miroirs des songes collectifs ou individuels. C’est ce que j’ai appelé une mythobiographie "
Claude-Louis Combet, Entretien avec Alain Poirson, France-Nouvelle 1980, in http://www.jose-corti.fr/auteursfrancais/louis-combet.html (février2013)