sabÿn
Ex-voto
matériaux & substances maraboutés, installation, 2009-2012
Ex-voto : objets-reliquats & pensée magique
Mes ex-voto précisent dans une condensation conséquente mon imaginaire anthropologique du corps. Traditionnellement, les ex-voto sont, selon Georges Didi-Huberman, des formes de revenances archaïques, organiques, viscérales , mais surtout « des représentations réifiées, ou plus exactement [...] des objets constitués psychiquement par le lien votif. [...]. C’est presque toujours un objet-reliquat, un relief d’épreuves organiques psychiquement élaborées. L’ex-voto anatomique se présente donc comme un fragment reclos selon les découpes du symptôme lui-même (1) ».
J’appréhende mes ex-voto comme ex-voto psychiques : ils aimantent d’obscurs symptômes que l’inconscient en ses limbes, imprégnant l’être à vif, sécrète. Substances-rêve, ils sont la matière étrange et filandreuse de mes cauchemars, émanation totémique, chiffons usés, vieil or ensorcelé. Ils ne peuvent être dissociés de leur titre, mots-monde comme invocation. Ils sont cette part de l’œuvre faite corps et déchirures du corps, étrange magie où je ne sais plus dire les limites exactes entre mon corps, la chair et l’œuvre.
Les formes advenant évoquent une convulsion organique, à la fois triviale et sublimée, mais aux sécrétions intimes du corps se mêle ce que je récolte dans la nature au fil de mes errances. J’invente je ne sais quelles obscures chimères, mêlant aux ruines d’une mémoire cendreuse une fiction panthéiste, animiste, infiniment sensuelle. Ce qui émane alors de ces formes ne saurait être défini : horreur répulsive, brutale et viscérale, ou réenchantement de formes, adoucies, neutralisées, pacifiées ?
La cire « matériau de toutes les plasticités, se prêt[ant] parfaitement à toutes les labilités du symptôme que l’objet votif tente magiquement d’involuer, de guérir, de transformer (2) » ne constitue pas l’organe votif dans mon travail, mais le nappage qui fige et contraint le symptôme-relique. C’est là procéder à un retournement étrange, ambigu : déplacement par transformation du statut de la cire-paraffine. Fondue au bain-marie, elle est cette liqueur chaude, transparente, eau lourde et épaisse dès qu’il s’agit de la verser. Je la répands lentement dans la boîte de plexiglas ; cette coulée silencieuse nappe onctueusement le dedans du réceptacle (plaisir charnel de telle douceur : la paraffine semble adoucir ce qu’elle empreint). J’attends qu’elle durcisse un peu, pour disposer précautionneusement l’ex-voto. Il me faut le tenir, afin qu’il ne s’enfonce pas trop, respirant doucement tant il importe de ne pas bouger : lente emprise de la paraffine ; se solidifiant, elle perd de sa transparence pour laisser sourdre un blanc ancien, épais et translucide par endroits. L’enchâssement de l’ex-voto crée des vagues infimes, je vois advenir les nappes qui piègent et enkystent l’assemblage : je pense relique embourbée ou relique empoissée. C’est là un processus d’une douceur extrême, qui cependant, ne peut nier l’inéluctabilité d’une saisie comme étouffement. Montent en mémoire les mouches et guêpes de mon enfance, engluées dans le miel, piégées ad infinitum. La beauté de ces substances (miel, paraffine) ne peut éradiquer la présence filigranée d’une mort lente et visqueuse, létale, ni ce silence étourdissant. Là peut-être se figent mes rêves anciens d’étouffement, comme s’engourdissent mes bras et mes mains, à tenir plus d’une demi-heure, immobiles, la relique empoissée. La paraffine serait-elle pharmakon, puisque je suppose qu’elle neutralise (ou anesthésie) l’ensorcellement maléfique du symptôme ?
Enchâsser l’ex-voto, c’est opérer un glissement formaliste et symbolique : il se donne à voir comme relique en son reliquaire, donc un reste, sans doute auratisé, assurément tenu à distance, mis en boîte, voire exhibé sur son socle, ainsi qu’un n’kisi ou un bocio vaudou trônant sur l’autel, et censé enclore pour certains d’entre eux, le mal, ligaturé, enchâssé. C’est bien là une sorte de magie en ce qu’elle insuffle d’« efficacité symbolique » telle que Claude Lévi-Strauss a pu la définir.
Notes
(1) Georges Didi-Huberman, Ex-voto, image, organe, temps, Paris, Bayard, 2006, p. 25 & 83
(2) ibid. p. 40