sabÿn
Haïkus Photographiques / des confins immédiats
Présentation
aux confins du confinement ... printemps 2020
Je ne tomberai pas. J'ai atteint le centre.
J'écoute le battement d'on ne sait quelle divine horloge, à travers la mince cloison charnelle de la vie pleine de sang, de tressaillements et de souffles.
Je suis près du noyau mystérieux des choses comme la nuit on est quelquefois près d'un coeur.
Marguerite Yourcenar, Feux
protocole
=> n'utiliser que des photographies faites durant la période du confinement ( du 17 mars au 11 mai 2020) et dans les limites du périmètre alloué, à distance d'un kilomètre du domicile (quartier des Amidonniers et des Sept Deniers et plus précisément : le Bassin des Filtres, le Port de l'Embouchure, l'entrée de la coulée verte face au Bassin des Filtres, le parc des Ponts Jumeaux, quelques rues des Sept Deniers, et très partiellement, les digues de la Garonne et les berges du Canal des-Deux-Mers).
=> chaque jour, ou presque, finaliser un "haïku photographique" en puisant librement et sans contrainte chronologique dans cette série de photographies ; série qui logiquement, s'étoffe au fil des jours.
=> chaque soir, ou presque, envoyer par mail à un groupe d'ami.e.s le "haïku photographique" du jour ; à savoir une photographie conjointe à son très court poème.
Ces envois datés scandent et ritualisent l'écoulement de cette étrange période.
Processus d'échanges, flux et partages ; que soient ici remercié.e.s ces ami.e.s pour leurs retours confortants et généreux.
*
L'annonce du confinement est abrupte ; les jours qui suivent oscillent entre sidération et irrépressible besoin de s'informer. Mais la médiatisation de cet étrange virus est elle même virale, mortifère tant elle déborde l'espace intérieur. Se sont tus en contrechamp les bruits de la ville ; une nappe de calme inédite se déploie et le bruissement du printemps devient audible.
J'ai très vite l'intuition que la période sera longue, dans une solitude qui peut être bienvenue à la condition de conjurer la peur (car elle asservit et vulnérabilise les défenses immunitaires et j'ai de légers symptômes - fièvre, courbatures, perte d'odorat).
Il importe dès lors de se déplacer, de s'ouvrir à d'autres rumeurs, d'ancrer le corps dans la présence, hic et nunc.
La série Des confins immédiats n’est pas préméditée ; son impulsion relève d’un hasard heureux : la Fondation Ecureuil pour l’art contemporain propose une chasse aux nuages photographique en lien avec l’exposition Nous ne savions pas ce que vos yeux regardaient.
Dilater l’espace exigu du confinement en l’ouvert du ciel, attentive à sa climatologie mouvante comme à sa constante respiration me semble une belle échappée ; c’est aussi cesser d’être obsédée par mes symptômes et l’omniprésence médiatique du covid.
Le triptyque initiant ce travail juxtapose trois images prises à travers le verre dépoli d’un bocal : jeux de rythmes, pulvérisation de ce qui se donne à voir en cette fragmentation anamorphique du paysage immédiat. Je privilégie déjà textures et détails comme ce trouble où se brouillent les échelles. L'infime est alors illimitation du monde, ou recréation fictionnelle de mondes.
Dès lors, pourquoi ne pas ritualiser mon quotidien en élaborant chaque jour un montage photographique accompagné d'un court texte poétique ?
La météo exceptionnelle qui prévaut les premières semaines de confinement - ciel bleu immaculé - m'incite à déplacer mon regard. Mes pérégrinations journalières au sein du périmètre imparti seront alors des excursions photographiques, attentives aux moindres détails. Au fil du temps, ce projet se précise et renoue avec ce qui hante ma pratique artistique : proposer d'étranges récits elliptiques, cosmogonies défaillantes et lacunaires où célébrer l'extase du présent, aller à l'essentiel, sans complication, poreuse à l'exceptionnelle vitalité du printemps.
Ces haïkus photographiques constituent ma réponse au confinement.
Je conjoins à l’exiguïté du périmètre alloué une dilatation temporelle au creuset de la présence ; l’espace s’illimite alors. C’est brouiller l’échelle du territoire, se soustraire aux limites imparties, puisque je ne dissocie plus le monde de l’expérience immersive d’être au monde – infinie.
Là sont mes confins immédiats.
première séquence
. 22 mars 2020 .
PRESENCE ici-bas / furtivité des songes / des cieux cueillir la déhiscence ...
. 24 mars 2020 .
nuages pour rêver mouvances célestes, nos âmes arrimées / mais le regard allant à l'allant du désir / voir, essaimer
. 25 mars 2020 .
pollinisation stellaire / lichens gazeux / nos traces à pas furtifs ...
. 26 mars 2020 .
du bitume / aux liqueurs de ciel / dansantes incises
. 27 mars 2020 .
de l'infime aux confins immédiats / rêver l'obscur / à dessillements du soi ...
. 28 mars 2020 .
à flux constants / liqueurs d'espaces / nos vertiges ont l'exactitude du ciel ...
. 29 mars 2020 .
fractures Ici-bas / à coulures du rose / mais au-dedans : buée des songes ...
. 30 mars 2020 .
nager en l'envers de soi / dansantes particules / toute frontière abolie ...
seconde séquence
. 1e avril 2020 .
de ce que cendres furent / nos traces / une barque, le soir ...
. 2 avril 2020 .
aux coulures / d'outre-moires / l'obscur ici plongeant ...
. 3 avril 2020 .
terres d'étrange / à confins éperdus / constellations polliniques ...
. 4 avril 2020 .
cartographie sableuse / séminale et diaprée / une plage se devine, inabordable ...
. 5 avril 2020 .
l'informe placide / aux liqueurs de pollen / si lente alchymie ...
. 6 avril 2020 .
satellite aqua-lunaire / en l'obscur du silence / ici nagent les lucioles ...
. 7 avril 2020 .
veille l'Idole / crépusculaire, adorante / à demeure des moires ...
. 8 avril 2020 .
cosmographie de l'inouï / infime Ici-bas / alunissons à l'unisson ...
troisième séquence
. 10 avril 2020 .
tumulus que dissolvent / poussières et pollen / l'envol est proche ...
. 11 avril 2020 .
à presque sombrer / noires liqueurs et abysmes / mais à surfaces, alunir ...
. 12 avril 2020 .
lichens lunaires / cendreuses astéroïdes / dérives d'où revenir ...
. 13 avril 2020 .
séminale soucoupe / aux confins du bitume / ici sont nos rêves d'espace ...
. 14 avril 2020 .
crayeuse pollinisation / à revers du songe / nos yeux de neige...
15 avril 2020 .
l'infime se dilate / toucher des astres / et poussières ...
. 16 avril 2020 .
atomisation du regard / en particules nageantes / sans plus attendre, aller ...
quatrième séquence
. 18 avril 2020 .
des flux coulant / à rives éteintes / nos pas frissonnent ...
. 19 avril 2020 .
archipels fluant / corolles et pistils / à l'ajour des moires ...
. 20 avril 2020 .
des arbres / boire sèves et songes / en l'antre du Sauvage ...
. 21 avril 2020 .
à l'enclore des eaux / mandorle / Ici s'enchevêtrent les mondes ...
. 22 avril 2020 .
forêts obscures / en l'ombre familière / des temps fantômes ...
. 23 avril 2020 .
placides dérives / et ors muant / au noir des ondes ...
. 24 avril 2020 .
du souffle, la diaprure séminale / les vents solaires / et nos poussières ...
. 25 avril 2020 .
coulures du sombre / liqueurs du soir / ainsi les arbres …
cinquième séquence
. 27 avril 2020 .
mouvances d'azurs ici coagulées / pure couleur / bleu de Klein ...
. 28 avril 2020 .
écluse sagittale / quantique, où cordes / et songes frissonnent …
. 29 avril 2020 .
à ciel béant / lueurs et ondes déversées / l'Ourse hante ...
. 30 avril 2020 .
nuées polliniques / volatiles constellations / ici dansent les atomes ...
. 1er mai 2020 .
liqueurs assoupies / aux confins de l'obscur / si lentes dérives, séminales ...
. 2 mai 2020 .
sous l'ombre / d'invisibles nymphéas / quiétude du pictural ...
. 3 mai 2020 .
mouvances entre mondes / qui ne commencent / ni ne s'achèvent ...
sixième séquence
. 5 mai 2020 .
topographie du sacral / en l'outre-mondes / des prismes ...
. 6 mai 2020 .
Ici Masque d'un dieu songeur / en l'ombre, l'ambre / et la couleuvre ...
. 7 mai 2020 .
mandorle pollinique / où churinga et sortilèges / se dessillent ...
. 8 mai 2020 .
souffles herbeux / buveurs de lunes / au fracas des eaux hautes ...
. 9 mai 2020 .
poussières de pollen / au front des hommes / une étoile brille ...
. 10 mai 2020 .
échappées de Vouivre / à mouvances du Sauvage / d’ors et de boue, être LIBRE.