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Haïkus Photographiques / demain les herbes
Installation photographique - photographies numériques impression dos bleu, mots-mondes, terreau, cendres d’encens, gazole. Dimensions variables. Juin 2020-2021. Co-production Lieu Commun - artist run space & Université Toulouse - Jean Jaurès.
installation exposée dans le cadre de l'exposition collective Beyond Concrete Jungle du 20 novembre au 18 décembre 2021, à Lieu-Commun, Toulouse - Commissariat : Camille Prunet
Je remercie Camille Prunet pour son invitation mais également ses précieuses suggestions : recourir à une impression dos bleu et laisser couler les pans photographiques sur le sol
Texte de présentation :
Le 9 mai 2020 - deux jours avant que ne s'achève la période de confinement, des agents municipaux rasent les herbes hautes et folles qui bordent le Bassin des Filtres et envahissent le parc des Ponts Jumeaux (quartier des Amidonniers, Toulouse). Ces coupes brutales se succèdent et scellent la réappropriation d'un espace qu'une trêve inédite avait partiellement "ensauvagé". L'agitation urbaine, le trafic incessant refont surface. Ils corrodent la substance d'un temps décéléré, cette nue présence au monde, hic et nunc.
Contre-champs ambigu Des confins immédiats (haïkus photographiques du confinement), Demain les herbes en prolonge le souffle poétique et la porosité du regard, attentifs à ce que dessillent plantes et arbres, infimes mirabilia, ondes moirées et flux polliniques ; similitude du territoire restreint que perfuse et dilate une climatologie immersive. Mais ma perception du temps diffère : précipitée, intranquille. L'anthropocène hante en filigrane cette série réalisée en quelques jours, seulement.
Les herbes sont ici paradigme d'une résistance ténue mais obstinée : persistance de l'infime. Le Tiers paysage, support d'une translation rêveuse, n'est plus seulement réserve territoriale, mais réservoir d'imaginaires, ensauvagés, aux marges du visible.
installation :
Au sol, deux lignes de terreau, poudreuses, rasent le mur et bordent de part et d’autre les trois pans verticaux des haïkus photographiques ; elles disent la prégnance d’un ancrage chtonien, son horizontalité, mais aussi la fécondité nourricière de ce substrat. Chaque jour, ou presque, quelques gouttes de gazole sont déposées et imprègnent ce terreau. L’odeur malaisante se dissipe rapidement ; cette dernière, immatérielle et inframince, évoque la densité du trafic routier dont le flux incessant parasite la quiétude du Bassin des Filtres et du parc des Ponts Jumeaux – espaces où j’ai effectué l’essentiel des prises de vue de Demain les herbes. Les cendres d’encens, essaimées au-dessus des deux lignes de terreau, résultent d’une lente combustion, ritualisée : odeur résiduelle, là aussi imperceptible. Deux univers olfactifs distincts se confrontent et condensent une tension indécelable, bien que sous-jacente.
Les trois pans photographiques, encollés à même le mur, font double-peau ; ils semblent une émanation exsudée, sans épaisseur, ou presque. L’impression dos bleu, déceptive tant sont atténués les contrastes comme la palette chromatique, contribue à assourdir les images, les affadir. Il y a comme un voile à surface, une sorte de retrait en ce qui se donne à voir, dans une grande douceur : éloge de la fadeur, intensité sans grand éclat, intériorisée. De fait, les « mauvaises » herbes sont peu de choses, jamais clinquantes elles persistent cependant, résilientes, inépuisables.
Quand il passe par notre bouche,
le Tao est fade et sans saveur :
il ne peut être aperçu,
il ne peut être entendu,
mais il est inépuisable
Laozi, § 35,
cité par François Jullien, Eloge de la fadeur, Le Livre de poche, Paris, 2007, p.36